- IRLANDE (RÉPUBLIQUE D’)
- IRLANDE (RÉPUBLIQUE D’)La république d’Irlande occupe vingt-six des trente-deux comtés de l’île, soit une superficie de 70 282 kilomètres carrés sur un total de 84 421 kilomètres carrés. Au recensement de 1991, sa population était de 3 523 400 habitants.L’échec de la revendication du Home Rule (autonomie interne) soutenue par Parnell et Gladstone entraîne une radicalisation des esprits qui débouche sur l’insurrection de Pâques 1916 à Dublin et sur la guerre d’indépendance anglo-irlandaise de 1919-1921. Au nord, la violence revêt l’aspect d’émeutes anticatholiques. En 1920, le gouvernement britannique impose la partition de l’île afin de traiter séparément les deux questions d’Irlande: les six comtés de colonisation du Nord-Est reçoivent un statut d’autonomie au sein du Royaume-Uni; les vingt-six comtés nationalistes du Sud et du Nord-Ouest se voient reconnaître le statut de dominion dans le cadre du Commonwealth. Les ultra-républicains déclenchent de 1922 à 1923 une guerre civile fratricide qui sonne à court terme le glas de leurs espérances. Mais, après la période de reconstruction de «l’ère Cosgrave», l’arrivée de Eamon De Valera au pouvoir relance la question nationale sous ses deux aspects fondamentaux: parachèvement de l’indépendance du Sud qui culmine avec la neutralité de l’Eire pendant la Seconde Guerre mondiale et la proclamation de la république d’Irlande en 1948; et protestation permanente, multiforme, autant qu’inefficace, contre la partition inique du territoire national. Après la guerre, la passion nationaliste le cède peu à peu au souci de promouvoir l’essor économique d’un pays dont le sous-développement est chronique. En 1972, la république d’Irlande adhère au Marché commun. Mais le spectaculaire décollage de l’économie irlandaise est freiné par les ondes de choc de la vague de violence qui submerge l’Irlande du Nord et par le brutal coup d’arrêt à l’expansion provoqué par la crise économique mondiale.1. Une île océanique, un pays agricoleMilieu naturelLe reliefPortant la marque des glaciations quaternaires, le relief ne s’oppose nulle part à la pénétration des influences océaniques et n’est pas assez vigoureux pour déterminer des nuances climatiques importantes.Une bande montagneuse septentrionale comprend, au sud-ouest, les monts de Connemara et de Mayo, massifs cristallins rabotés par les glaciers, troués de lacs et dominés par quelques sommets de quartzite (pic de Croagh Patrick, plateau de grès de Mweelres). Puis, au-delà d’une avancée de la plaine centrale tourbeuse et lacustre, les massifs du nord-est appartiennent en presque totalité à l’Irlande anglaise, sauf le massif du Donegal, fait de roches métamorphiques, qui culmine au mont quartzitique d’Errigal (752 m). Une bande montagneuse méridionale, plus élevée, comprend elle aussi trois compartiments. Les monts du Munster, les plus hauts de toute l’Irlande (Carrantuohill, 1 041 m), sont des chaînes parallèles, séparées par des baies et des vallées de même direction, un relief appalachien dû à des roches plissées de dureté différente; les landes et les tourbières des sommets alternent avec les forêts des vallées abritées. Vers l’est, les chaînes s’écartent et s’étalent dans la plaine centrale, accidentée d’îlots calcaires carbonifères soulevés au Tertiaire (plaine de Tipperary, vallée de la Barrow, de la Blackwater). Au sud de Dublin, un troisième bloc est constitué par les monts Wicklow, massif granitique dominé par des pitons de quartzite. Au centre, une vaste plaine d’érosion a été déblayée dans les dépôts de calcaire carbonifère reposant sur le Vieux Grès rouge et sur le socle calédonien plissé; une épaisse couverture de drift glaciaire a tout ennoyé et a favorisé l’existence d’un drainage incertain: les fleuves se traînent de lac en lac suivant une pente indécise; par endroits, des collines rocheuses, surtout au sud, rompent l’uniformité de la plaine (Slieve), tandis que des bassins sont séparés les uns des autres par des hauteurs nord-sud (bassin de Dublin, ouvert sur la mer d’Irlande à l’est, bassin du Shannon au centre, bassins de Connaught et de Clare que la mer pénètre en profondes baies, parsemées de drumlins). Au sud, l’action des glaciers a découpé de longs fjords, les loughs .Le climatLe climat, sous la dépendance absolue des influences océaniques, est d’une très grande régularité au cours de l’année (amplitude thermique annuelle inférieure à 10 0C grâce à l’extrême douceur de l’hiver – moyenne de 6,8 0C en février dans le Sud-Ouest, de 5 0C à Dublin – et à la fraîcheur des étés – 14,4 0C de moyenne en août sur la côte sud-ouest); l’humidité est très importante (plus d’un mètre de pluie sur toute la côte occidentale et sur les reliefs montagneux); les vents d’ouest soufflent presque en permanence, le ciel est toujours plus ou moins nuageux et les pluies tombent pendant deux cents jours par an au moins, avec un maximum, océanique, en saison froide. Le nombre des jours de neige est très faible (9 ou 10 par an). Dans la plaine de Dublin apparaît un climat plus abrité où l’été est un peu plus chaud et lumineux. Cette douceur et l’humidité compensent la durée réduite de l’insolation, et, à l’abri des vents souvent violents, pousse une végétation extraordinaire pour cette latitude. L’Irlande est le pays de l’herbe qui lui a valu son surnom de «Verte Érin»; les haies de fuchsias et de rhododendrons délimitent les champs, tandis que des palmiers ornent les jardins des maisons de Dublin et que les comtés du Sud-Ouest s’enorgueillissent de posséder des aloès et des cactus. Les pentes des montagnes sont couvertes de belles forêts de chênes, et sur les sommets fleurissent les landes d’ajoncs et de bruyère.L’eau est partout. D’innombrables lacs, conséquence de la profonde action des glaciers, couvrent 2 p. 100 de toute la surface de l’île. Les rivières sont abondantes et régulières. Le Shannon, le fleuve le plus important d’Irlande, utilisé pour la production d’hydroélectricité (chutes de Killaloe), prend sa source à 49 m d’altitude et coule ensuite, parmi les lacs, les marais et les tourbières, sur 300 km jusqu’à la mer.PopulationOn comptait 6 850 000 habitants en 1841 sur le territoire de l’actuelle république et 2 910 000 seulement en 1968. Cette régression dramatique est due à une émigration considérable qui a chassé hors de leur foyer près de 3 millions de personnes en un siècle. La famine et la misère déterminèrent, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, cette vague d’exode. La plupart des émigrants furent attirés par la grande île voisine ou par les États-Unis. La dépopulation a atteint 42 p. 100 entre 1891 et 1951 dans les régions les plus pauvres de l’Ouest. Grâce à l’amélioration de la situation économique et au développement industriel, ce mouvement a cessé, et le taux d’immigration est devenu positif depuis 1972. Il s’agit souvent d’adultes masculins d’origine irlandaise, de retour d’Angleterre, ou issus de l’Irlande du Nord et fuyant le terrorisme. Aussi la population s’est remise à augmenter d’environ 1 p. 100 par an, et elle atteint actuellement 3 500 000 habitants.Si la densité moyenne n’est que de 49,8 habitants au kilomètre carré, certains comtés sont incroyablement surpeuplés (160 hab. au km2 dans les régions côtières de l’Ouest), et le travail rural constitue encore la principale activité des habitants (certains comtés du Nord-Ouest n’ont pas de ville du tout et comptent plus de 70 p. 100 d’actifs agricoles). Malgré une augmentation récente sensible, la moitié seulement de la population de l’Eire est urbaine (52 p. 100), et l’exode rural continue. L’émigration a eu de graves conséquences: elle a privé le pays de sa jeunesse, réduit considérablement le nombre des mariages (taux de nuptialité: 5,5 p. 1 000, un des plus bas du monde), augmenté la proportion des personnes âgées.Cependant, depuis 1970, l’âge moyen de la nuptialité s’est abaissé pour les Irlandais, en même temps que le nombre des femmes célibataires diminuait, en raison du recul des vocations religieuses. Le nombre des jeunes est devenu important: la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans. Le taux de natalité est resté relativement élevé en raison de la forte tradition catholique du pays (21,9 p. 1 000 en 1980: le plus fort taux du Marché commun), mais il baisse rapidement (8,9 en 1991). Quant au taux de mortalité, il baisse lentement (9,7 p. 1 000), sauf la mortalité infantile, qui recule de façon significative (14,9 p. 1 000 en 1980, 8 p. 1 000 en 1991).La répartition des activités se modifie. En 1946, on comptait 46,2 p. 100 d’actifs dans l’agriculture, 18 p. 100 dans l’industrie et 35,8 p. 100 dans le secteur tertiaire. Au recensement de 1960, ces proportions étaient respectivement de 38,25 et 34 p. 100. En 1989, elles étaient de 15,27 et 53 p. 100.Vie économiquePrédominance de l’agricultureL’agriculture continue à dominer la vie économique nationale. Mais elle n’occupe plus que 15 p. 100 de la population, ne représente plus que 10 p. 100 du P.N.B. et 24 p. 100 des exportations en 1991. En raison des conditions climatiques, l’élevage, prépondérant, fournit 80 p. 100 du revenu agricole (à eux seuls les bovins en constituent les deux tiers), mais les productions végétales et les exportations se diversifient. Le cheptel a augmenté régulièrement jusqu’en 1974 pour les bovins et les ovins: depuis lors, il a diminué (6 029 000 bovins, 6 040 000 ovins). Le nombre des porcins est stationnaire depuis le début des années 1970 (1 100 000 têtes). L’ouest de l’Irlande est essentiellement naisseur (bovins, ovins); les bêtes sont engraissées dans les plaines de l’Est, plus fertiles, et où la technique de l’ensilage (qui a remplacé la récolte classique du foin) a permis d’améliorer les conditions techniques de l’élevage et la qualité du troupeau. La viande, dont la production a été multipliée par cinq depuis 1946, se classe en tête des produits de l’élevage, suivie par le lait.La superficie occupée par les labours diminue, mais, comme les rendements augmentent, la production s’accroît. Si les productions d’avoine, de blé, de seigle, de pommes de terre marquent un net recul, celles d’orge et de betteraves sucrières progressent: la production d’orge a été multipliée par douze depuis la Seconde Guerre mondiale (sud-est de l’île). Les cultures légumières sont en essor autour de la capitale ainsi que le houblon.On compte environ 270 000 exploitations, soit une baisse d’un peu plus d’un quart depuis le début du siècle; les fermes s’étendent en moyenne sur 22 hectares, mais les deux tiers d’entre elles ont une superficie inférieure à 20 hectares. Elles sont beaucoup plus petites dans les comtés de l’Ouest que dans la plaine centrale. Une législation importante a tenté d’améliorer la situation des ruraux: accès à la propirété des petits tenanciers les plus pauvres, agrandissement des exploitations trop petites, amélioration de l’équipement, notamment distribution d’eau et d’électricité, transplantation des familles des comtés surpeuplés de l’Ouest vers la plaine centrale. Malgré cela, on estime que près des trois quarts des exploitations ne sont pas économiquement viables, mais le gouvernement s’efforce de conserver le maximum de fermes familiales. L’entrée dans le Marché commun, approuvée par 83 p. 100 des votants, avait suscité de grandes espérances qui ont été satisfaites au début. Mais ce sont surtout les grandes exploitations commerciales qui ont bénéficié des bienfaits de la politique agricole commune (P.A.C.). Au contraire, les petites fermes d’élevage laitier, qui ont été touchées par les quotas de production, se sont endettées pour acheter un matériel coûteux et ont souffert de la baisse des revenus.La pêche est en pleine expansion: les prises ont été décuplées depuis 1946 (230 000 t).Insuffisance des ressources naturellesL’effort que tente le gouvernement, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, est gêné par le manque de ressources naturelles et énergétiques. La production de charbon, qui venait du bassin d’anthracite de Castlecomer, s’est effondrée. La tourbe fait l’objet d’une intense exploitation: c’est une des originalités irlandaises; son pouvoir calorifique n’est que le sixième de celui du charbon. Avec 7 500 000 tonnes de production annuelle, elle fournit le combustible aux petits fermiers de l’Ouest, qui l’extraient eux-mêmes, mais aussi la matière première au Bord Na Mona, entreprise industrielle qui exploite vingt-six grandes tourbières dans la plaine centrale et fabrique des briquettes pour la population et pour les plus grandes centrales électriques (Ferbane, Rhode, Bellacorick).La production d’électricité a été multipliée par vingt depuis 1946 et dépasse maintenant 15 milliards de kilowattheures par an, dont 8 p. 100 d’origine hydraulique. Quant au pétrole, il est importé et raffiné sous contrôle d’une société américaine (raffinerie de Cork). Le port pour pétroliers géants de Bantry Bay a un trafic de plus de 11 millions de tonnes.En outre, on exploite un certain nombre de gisements miniers: du cuivre dans une des plus importantes mines d’Europe à Avoca (60 km au sud de Dublin), un peu de plomb (28 800 t, baie de Sligo), du gypse, de la silice, du zinc, de la baryte. Cette extraction, effectuée par des sociétés d’État avec l’aide de capitaux canadiens, anglais ou américains, a fait de grands progrès depuis 1950.Industrie et échangesL’Irlande a connu une profonde transformation: sa production industrielle a doublé en moins de dix ans, ainsi que ses exportations. On a pu parler du «Taiwan de l’Europe».Actuellement, l’industrie fournit 300 000 emplois, 35 p. 100 du P.N.B. et 80 p. 100 des exportations. Les industries traditionnelles reposent surtout sur les produits fournis par l’agriculture: le porc est transformé (conserves de viande, fabrication de bacon, de saucisses, de charcuterie, de soupes concentrées) à Dublin, Cork, Limerick, Waterford, Roscrea. Les produits laitiers, le sucre de betterave, les fabrications de sucrerie, de confiserie, de chocolat, les minoteries sont dispersés à travers tout le pays. En valeur, les boissons occupent le premier rang des produits fabriqués: les célèbres whiskeys de Dublin, Cork, Tullamore, Kilbeggan; les bières, dont la plus connue, la Guinness, est brassée depuis le XIXe siècle à Dublin (cette brasserie est le premier employeur du pays et le premier exportateur mondial de bière); le cidre, l’eau minérale sont également réputés et exportés en grandes quantités. Les industries alimentaires emploient le cinquième de la main-d’œuvre industrielle totale.Parmi les fabrications traditionnelles figurent le cuir, les chaussures, des textiles (travail de la laine de mouton – une dizaine de milliers de tonnes de filés –, du lin – cultivé surtout dans le Nord-Est –, du coton importé). La confection doit acheter à l’étranger une partie des tissus qu’elle transforme; elle est surtout installée à Dublin. Cependant, on observe un recul spectaculaire de l’emploi dans ces industries traditionnelles, qui n’offrent que de bas salaires.L’industrie moderne, dont les débuts se situent vers 1922 (politique du marché national), a été favorisée par une protection douanière efficace et par l’apport de capitaux étangers.La première zone franche du monde a été créée en 1958, près de l’aéroport internationale de Shannon, dans la moitié ouest du pays: une véritable Silicon Valley s’est développée près de l’aéroport ainsi qu’un centre universitaire, en plein accroissement. S’y est installé le siège de la compagnie Guinness Aviation qui, la première, a pratiqué la location d’avions et en détient maintenant la moitié du marché mondial. Les conditions avantageuses faites aux investisseurs étrangers ont permis, entre 1960 et 1989, la création de sept cents firmes étrangères, dont la moitié avec des capitaux des États-Unis. Au total, sur le sol irlandais, 40 p. 100 des investissements étrangers sont britanniques, 25 p. 100 américains, 20 p. 100 allemands, 5 p. 100 néerlandais. Depuis 1970 existe l’I.D.A. (Industrial Development Authority), qui témoigne de la volonté de l’État de s’industrialiser à tout prix. Les États-Unis ont fait de l’Irlande une tête de pont vers le marché européen. Les activités sont très variées: fabrication de matériel agricole, d’engrais (surtout de superphosphates), d’acier depuis 1938, près de Queenstown, montage de voitures, industrie de l’aluminium, production de matériel électrique, de tracteurs et de moteurs, d’emballages étamés, raffinage du pétrole.La fabrication du papier, l’imprimerie, l’industrie photographique sont en pleine expansion. Une industrie nouvelle connaît aussi un grand essor: celle des composants et sous-ensembles microélectroniques, pour lesquels l’Irlande se place parmi les cinq premiers producteurs mondiaux. L’investissement japonais a fait son apparition dans le textile: Asahi produit 20 000 tonnes d’acrylique. De nombreux avantages sont consentis par l’État aux sociétés qui s’implantent: avantages fiscaux considérables avec un impôt sur les bénéfices qui ne dépassera pas 10 p. 100 jusqu’en l’an 2000 (il s’agit du système le plus favorable du monde), assistance d’implantation, terrains à bas prix, formation du personnel, prêts à l’investissement, etc. À cela s’ajoutent le bas niveau de salaires et une faible action syndicale.Malgré des succès incontestables, les emplois industriels restent insuffisants et, surtout, sont liés aux variations de la conjoncture internationale et des investissements, étrangers en grande partie. De 1988 à 1991, ils ont augmenté de 10 p. 100, mais il reste encore un chômage important de 15 à 20 p. 100.Pourtant, la balance commerciale témoigne des progrès: depuis 1985, elle est régulièrement largement positive. Les quatre cinquièmes des importations consistent en matières premières et en biens d’équipement. La vente des produits agricoles ne représente plus maintenant que 30 p. 100 du total des exportations. Un Irlandais sur deux travaille pour l’exportation. Des changements sont intervenus dans la répartition des partenaires commerciaux; les ventes à destination des États-Unis sont passées de 65 à 28 p. 100, alors que pour la C.E.E. elles ont augmenté de 12 à 46 p. 100.Le tourisme, qui s’était beaucoup développé, fait l’objet d’une politique attentive. En 1989, il a représenté 5,5 p. 100 du P.I.B., et les rentrées de devises, qui comblaient près de la moitié du déficit de la balance commerciale, figurent maintenant parmi les postes qui améliorent la balance des comptes. Mais la situation n’est cependant pas exempte de difficultés: le manque d’emplois (le taux de chômage était de 17 p. 100 en 1990), les relations délicates avec l’Irlande du Nord, la lutte constante pour améliorer la situation industrielle, certains déséquilibres de la production agricole sont autant de sujets de préoccupation pour le gouvernement. Le P.N.B. par tête, malgré des progrès récents, est le plus faible de l’Europe du Nord-Ouest; en 1990, il représentait la moitié de celui de la France.DublinLa capitale, Dublin (920 956 hab. en 1989), est, depuis 1170 et l’occupation normande, le centre stratégique et administratif de l’île. La population de l’agglomération a doublé depuis la fin du XIXe siècle, et de nombreux quartiers en bordure de la baie de Dublin, notamment au sud, ont été construits depuis lors. Dublin et sa banlieue rassemblent le tiers de la population totale du pays. Capitale administrative et intellectuelle (université fondée en 1591), elle est également un pôle commercial et industriel (plus de 40 p. 100 des emplois industriels du pays et plus de la moitié du revenu de toute l’Irlande). Son port, établi sur la rivière Liffey, se développe (7,6 millions de tonnes, dont 2,8 d’hydrocarbures) et constitue le principal relais vers les ports de Grande-Bretagne avec lesquels se font d’intenses échanges.La deuxième ville du pays, Cork, n’a que 173 000 habitants et un rôle très modeste. Le gouvernement s’efforce d’atténuer la suprématie de Dublin en favorisant le développement industriel dans tout le pays, notamment dans la moitié ouest, qui est la plus rurale et la plus attardée.2. De la guerre d’indépendance au Marché commun«Les quatre années glorieuses»Entre le 3 et le 12 mai 1916, quinze des principaux chefs de l’insurrection de Pâques – dont Padraic Pearse, le poète, et James Connolly, le syndicaliste – sont passés par les armes. Près de deux mille suspects sont internés en Angleterre et au Pays de Galles. Les excès de la répression retournent une population qui avait, sur le moment, condamné cette aventure insensée: de fous et de criminels, les rebelles deviennent des héros et des martyrs. Alors qu’il est urgent de dégager une solution, le tortueux Lloyd George négocie un marché de dupes avec Redmond et Carson, et ignore superbement les recommandations de la Convention irlandaise pourtant réunie à sa demande en 1917. Résultat: le Sinn Fein, qui revendique un peu malgré lui la paternité de l’insurrection de Pâques, enlève coup sur coup trois élections partielles. Le 10 juillet 1917, notamment, Eamon De Valera est triomphalement élu dans le comté de Clare: dernier commandant de la rébellion de Pâques à avoir déposé les armes, condamné à mort, gracié et récemment amnistié, il personnifie l’intransigeance héroïque des insurgés. La fraction nationaliste la plus avancée le porte d’un même élan à la présidence du Sinn Fein et à celle des Volontaires Irlandais qu’un stratège de vingt-huit ans, Michael Collins, s’emploie à transformer en une véritable armée de guérilla. Dans ce climat pré-révolutionnaire, l’extension de la conscription à l’Irlande, décidée à Westminster le 16 avril 1918, relève de la provocation. En dehors de l’Ulster orangiste, c’est le tollé général: du Parti nationaliste au Sinn Fein en passant par l’Église, les syndicats et les corps constitués, l’opposition fait bloc. Pour briser cette résistance imprévue, Lloyd George expédie en Irlande le maréchal French qui prétexte un fumeux «complot allemand» pour arrêter et déporter une centaine de cadres du Sinn Fein et des Volontaires. Cette campagne d’intimidation ne sert qu’à conforter la position du Sinn Fein. Le fondateur du mouvement, Arthur Griffith, pourtant emprisonné, est élu triomphalement le 21 juin 1918 à une élection partielle. La fin de la guerre met un terme à la crise de la conscription, mais pas à la montée du séparatisme. L’élargissement du suffrage qui fait passer l’électorat irlandais de 701 475 à 1 936 673 votants est un signe annonciateur de profonds changements. De fait, les élections générales de décembre 1918 traduisent un complet bouleversement de la situation: sur les cent cinq sièges irlandais à pourvoir, le Sinn Fein en enlève soixante-treize. De Valera, Arthur Griffith, Michael Collins sont élus, le Parti nationaliste est laminé. Seul l’Ulster orangiste, avec ses vingt-trois députés unionistes, résiste au raz de marée. Fidèles à leur programme abstentionniste, les députés sinn feiners boycottent Westminster et s’érigent, le 21 janvier 1919, en Assemblée d’Irlande, ou Dail Eireann. Ils élisent De Valera président et proclament l’indépendance de l’île, tandis que dans les chemins creux du Tipperary claquent les premiers coups de feu de la guerre d’indépendance anglo-irlandaise, véritable guerre de libération nationale qui annonce et préfigure les affres de la décolonisation. Contre les embuscades de l’I.R.A. et l’insubordination de la grande masse du peuple et des autorités locales qui ont prêté serment d’allégeance au Dail Eireann, les Anglais ont recours à la manière forte: le soin de «pacifier» l’île est confié à des unités militarisées de supplétifs recrutés parmi les vétérans de la guerre de 1914 – «Black and Tans» et «Auxiliaires» – qui font régner la terreur dans les villes et les campagnes. À Belfast et dans toute l’Irlande du Nord, les catholiques sont chassés de leurs emplois, expulsés de leurs foyers, agressés par des foules déchaînées de protestants fanatisés. Les forces de l’ordre sont impuissantes à imposer une solution militaire. Or, l’opinion internationale s’émeut. En métropole même, les protestations se multiplient. Le Government of Ireland Act offre, en décembre 1920, un double régime de Home Rule aux protestants du Nord et aux catholiques du Sud. Les unionistes d’Ulster acceptent à contrecœur ce pis-aller constitutionnel, tandis qu’au Sud l’I.R.A. poursuit la lutte armée. Toutefois, une certaine lassitude se fait jour de part et d’autre. Le 22 juin 1921, le roi George V prononce à Belfast un discours qui est un véritable appel à la réconciliation et à la paix. Le soir même, De Valera, rentré d’Amérique où il a fait une tournée triomphale qui n’a pas peu contribué à populariser la cause nationaliste, est interpellé par l’armée, puis relâché, sans un mot d’explication. Deux jours plus tard, Lloyd George propose l’ouverture de négociations. Le 10 juillet 1921, une trêve est signée entre l’armée britannique et l’Irish Republican Army. Après trois mois de joutes diplomatiques entre Lloyd George et De Valera, les véritables négociations s’ouvrent au 10 Downing Street, à Londres, le 11 octobre 1921. La délégation irlandaise, à laquelle De Valera ne s’est pas joint, est dirigée par Arthur Griffith et Michael Collins. À l’issue d’âpres discussions, entrecoupées de menaces de rupture, un projet d’«Articles d’accord pour un traité entre la Grande-Bretagne et l’Irlande» est signé par les ministres anglais et les plénipotentiaires du Sinn Fein, le 6 décembre 1921.Ce traité aménage une paix de compromis. Les Irlandais obtiennent beaucoup, ils n’obtiennent pas tout. La suprématie britannique en Irlande, établie en 1172, prend fin. L’union législative, imposée en 1800, est dissoute. Le gouvernement colonial de l’Irlande est renversé. L’Angleterre abandonne le Château, retire ses fonctionnaires, ses policiers et ses soldats. Elle amène le drapeau. L’Irlande est reconnue en tant que nation, alors que, un an auparavant, Lloyd George avait qualifié la nationalité irlandaise «d’artifice et d’imposture». Elle obtient le statut de dominion, auquel les conférences impériales vont donner le contenu le plus libéral. Mais les Irlandais sont contraints de renoncer à l’unité territoriale de leur pays – l’Ulster restant uni à la Grande-Bretagne sous l’empire du Government of Ireland Act de 1920 – et doivent accepter certains symboles de la souveraineté impériale. Les ultra-nationalistes crient à la trahison. Mais le traité est ratifié, et l’État libre d’Irlande voit le jour le 6 décembre 1922. Le pays, dans son écrasante majorité, est derrière Griffith et Collins.Après avoir essayé de dégager une troisième voie, De Valera dénonce le traité et rejoint les républicains purs et durs. La guerre civile éclate, plus sauvage et plus meurtrière encore que la guerre d’indépendance: la génération des «combattants de la liberté» est décimée. Griffith meurt d’épuisement, Collins tombe dans une embuscade. Les militants nationalistes sont traqués par l’armée de l’État libre, tués au combat ou fusillés. Une fois de plus, De Valera reste seul.Devant l’inégalité des forces en présence, il ordonne à ses troupes de déposer les armes. Il connaît à nouveau la prison. Mais il ne désarme pas. Puisqu’il n’a pas réussi à renverser l’État libre de l’extérieur, il décide de l’investir de l’intérieur. Le 16 mai 1926, il se sépare du Sinn Fein et fonde un parti, le Fianna Fail (Soldats de la destinée). Un an plus tard, les élus du Fianna Fail, renonçant à l’abstentionnisme traditionnel du mouvement républicain, entrent au Parlement irlandais et acceptent de devenir l’opposition légale.De l’État libre à l’EireLa constitution de l’État libre demeure, malgré les séquelles de la guerre civile, rigoureusement fidèle à l’esprit démocratique du gouvernement représentatif à l’anglaise. Le pouvoir législatif est confié au Parlement (Oireachtas) qui se compose d’une Chambre des députés élue à la représentation proportionnelle avec vote préférentiel (Dail Eireann), et d’un Sénat (Seanad Eireann). Le pouvoir exécutif appartient au gouvernement baptisé Conseil exécutif. Le chef de la majorité parlementaire est élu par le Dail président du Conseil exécutif et investi automatiquement par le gouverneur général. Le premier titulaire du poste est William Cosgrave, un combattant du soulèvement de Pâques 1916, fondateur du parti pro-traité Cumann na nGaedheal (La Famille des Gaels), à qui incombe la tâche ingrate de relever un pays ruiné par quatre années de violences et de destructions. Il rétablit l’ordre par une répression sévère tempérée par une amnistie généreuse (1924). Il remet les routes et les canaux en état, rend son autorité perdue à la justice, fait rentrer les impôts en retard, lance avec succès un emprunt de 10 millions de livres, fonde des entreprises publiques (State Sponsored Bodies) pour pallier l’insuffisance des capitaux privés. Sur le plan agricole, l’État libre achève la réforme agraire, définit des normes qualitatives, protège certains secteurs et favorise avec succès les exportations de produits irlandais: en 1929, elles atteignent 47 millions de livres, chiffre inégalé jusqu’en 1948. De grands travaux sont menés à bien en vue d’assurer l’exploitation des ressources naturelles: drainage de la rivière Barrow, électrification du Shannon, etc. Sur le plan diplomatique, l’État libre déploie une intense activité qui porte ses fruits: chaque conférence impériale lui est prétexte à obtenir de nouvelles concessions et à multiplier les initiatives en vue d’élargir la sphère d’autonomie des dominions auxquels le Statute of Westminster (1931) confère une indépendance quasi complète, que Dublin n’a d’ailleurs pas attendu pour adhérer aux Statuts de la cour permanente de justice internationale et à la S.D.N.Mais l’État libre n’enregistre pas que des succès, tant s’en faut. Sur le plan intérieur, l’opposition ne désarme pas. En 1924, l’armée connaît une crise grave qui oblige le gouvernement à sévir au prix d’une crise politique qui entraîne la démission de deux ministres et de huit députés. L’année suivante éclate la crise frontalière: non seulement la Commission frontalière prévue à l’article 12 du traité de 1921 ne restitue aucun territoire à l’État libre mais elle menace de l’amputer d’une partie du Donegal. Écartant les travaux de la Commission, les Premiers ministres de Dublin, Londres et Belfast signent un accord tripartite le 3 décembre 1925. L’État libre est exempté de la part proportionnelle que lui avait imposée le traité dans les charges de la dette britannique, mais il doit consentir au maintien de la frontière et renonce pratiquement au Conseil d’Irlande prévu par le Government of Ireland Act de 1920 en vue de faciliter une éventuelle réunification. Cette rebuffade entraîne une nouvelle crise politique. L’accord financier du 12 février 1923, secrètement renouvelé en mars 1926, au terme duquel l’Irlande s’engage à percevoir les annuités foncières découlant de la réforme agraire du début du siècle et à les reverser à l’Échiquier britannique, n’est certes pas de nature à redorer le blason de William Cosgrave. Les élections de juin 1927 sont un avertissement: seule la réticence à prêter serment à la Constitution, laquelle intègre la personne du roi, barre encore le pouvoir au Fianna Fail de De Valera qui progresse inexorablement dans le pays. L’assassinat de Kevin O’Higgins, l’autoritaire vice-président du Conseil exécutif, le 10 juillet 1927, entraîne le vote d’une loi qui oblige les candidats aux élections à prêter serment pour être éligibles: le Fianna Fail est au pied du mur. Refusant de s’exclure de la vie politique, De Valera et ses partisans s’inclinent et, le 10 août 1927, les députés du Fianna Fail prennent place dans l’enceinte parlementaire. Aux élections du 15 septembre 1927, Cosgrave parvient d’extrême justesse à se maintenir au pouvoir. Une nouvelle campagne de l’I.R.A. trop vigoureusement matée et surtout la montée du chômage, l’effondrement des prix et les effets désastreux de la crise de 1929 portent un coup fatal à son parti. Le 16 février 1932, le Fianna Fail arrive en tête aux élections. Avec l’appoint des voix du Parti travailliste, Eamon De Valera, grand vaincu de la guerre civile, accède à la présidence du Conseil exécutif de l’État libre.De l’Eire à la république d’IrlandeÀ peine installé au pouvoir, De Valera abroge les derniers liens constitutionnels qui unissaient l’Irlande à l’empire: le serment d’allégeance est supprimé, le gouverneur général neutralisé, le droit de veto du roi abrogé, l’appel au Conseil privé britannique abandonné, la citoyenneté impériale répudiée. En 1936, l’Executive Authority (External Relations) Act va beaucoup plus loin: sous prétexte d’entériner l’abdication d’Édouard VIII, il reconnaît le roi comme un simple symbole de coopération externe autorisé par le gouvernement de l’État libre à agir dans la sphère des relations internationales pour autant et aussi longtemps que le Parlement irlandais n’aura pas décidé d’abroger dans les formes ordinaires la loi sur les relations extérieures. Parallèlement, toutes références au roi et au gouverneur général sont radiées de la Constitution de l’État libre. Ultime assaut, une nouvelle Constitution est adoptée en 1937: l’État, débaptisé, devient l’Eire; l’organisation des pouvoirs publics est maintenue pour l’essentiel, mais tous les symboles du Commonwealth sont évacués; un président d’Irlande vient couronner ce nouvel édifice républicain dans le fond sinon dans la forme.Dans le même temps, De Valera manifeste son intention d’affranchir l’Irlande du paiement des annuités foncières constituant le remboursement des fonds avancés par le gouvernement anglais aux paysans irlandais dans le cadre des grandes lois de réforme agraire de 1891-1909. Le gouvernement de Londres réagit brutalement: les importations irlandaises sont frappées de droits prohibitifs. À son tour, l’Irlande taxe lourdement les produits britanniques. C’est la «guerre économique». Elle va durer six ans, de 1932 à 1938, et coûter près de 48 millions de livres à l’économie irlandaise. Mais De Valera tient bon. Devant tant d’intransigeance, l’Angleterre s’incline. Le 25 avril 1938, un accord est conclu entre Neville Chamberlain et De Valera. La liberté commerciale est rétablie entre les deux îles. La question des annuités est réglée par un paiement global et définitif de 10 millions de livres. Les institutions de l’Irlande ne sont pas modifiées. Les ports et installations de défense précédemment occupés par l’armée anglaise, en vertu du traité de 1921, sont transférés à l’Irlande, avec le matériel, l’armement et les munitions entreposés. C’est une grande victoire diplomatique pour De Valera.À l’intérieur, les opposants, tentés par l’action extra-parlementaire, sont vigoureusement remis au pas. C’est le cas de l’United Ireland Party ou Fine Gael (la Famille des Gaels) né en 1933 de la fusion du Cumann na nGaedheal et de deux autres partis minoritaires dont le général O’Duffy essaye en vain de faire un parti fasciste sur le modèle italien: en 1934, les Chemises bleues sont en pleine débandade et le général O’Duffy, mis sur la touche, doit céder le pouvoir à l’honnête et démocrate William Cosgrave. C’est aussi le cas de l’I.R.A., traitée d’abord avec ménagements, puis matée avec la dernière vigueur aussitôt que la tentation lui revint de déstabiliser le nouvel État. Divisée, débordée sur sa gauche par des groupes dissidents gagnés aux idées avancées (Saor Eire, Republican Congress), l’I.R.A. ne relèvera la tête qu’en 1939 pour se lancer dans une folle campagne d’attentats sur le sol anglais qui lui vaudra, à nouveau, de subir les foudres de la loi au sud comme au nord de l’Irlande.Les mains libres, De Valera peut se consacrer aux affaires internationales. En 1932, porté à la présidence du Conseil de la S.D.N., il dénonce vigoureusement la trahison des principes de l’internationalisme genevois. Ce rôle de Cassandre lui confère un grand prestige international: en septembre 1938, il est élu dix-neuvième président de l’assemblée de la S.D.N. Mais il n’a plus guère d’illusions sur la solidarité internationale et l’altruisme des grandes puissances. Il n’a plus qu’une idée en tête: faire en sorte que l’Irlande soit épargnée par le conflit qu’il sent venir inexorablement.Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, De Valera fait savoir aux belligérants que «l’Irlande restera neutre, et ne tolérera pas que son sol soit utilisé comme base d’attaque contre l’une quelconque des parties en conflit».Encore que bienveillante à l’égard des Alliés, la neutralité de l’Irlande est sans appel. Les menaces de Churchill, le chantage à la partition, les mesures de rétorsion de Roosevelt, le blocus économique même resteront sans effet. C’est un test éclatant de l’indépendance reconquise. Le pays tout entier est derrière Eamon De Valera dont c’est l’heure de gloire.Mais l’après-guerre révèle, comme dans le reste de l’Europe, une aspiration au changement. Les difficultés économiques et l’usure de seize années de pouvoir sans partage ternissent peu à peu le prestige du vieux chef. La faveur des Irlandais va à un nouveau parti républicain, le Clann na Poblachta (les Enfants de la République). Il est dirigé par Sean Mac Bride, fils d’un des chefs du soulèvement de Pâques, fusillé en 1916, lui-même ancien chef d’état-major de l’I.R.A., et futur prix Nobel de la paix. Aux élections de 1948, le «Fianna Fail» doit céder la place à un cartel qui regroupe le Fine Gael conservateur, les travaillistes, le parti de Mac Bride, et quelques indépendants sous la direction de John Costello.Cette coalition hétéroclite donne des gages de nationalisme à l’opinion: la loi sur les relations extérieures est abrogée en décembre 1948, et le jour de Pâques 1949 la république d’Irlande est officiellement proclamée devant la Grand-Poste où avait pris naissance l’insurrection de 1916. Le Parlement de Westminster vote l’Ireland Act de 1949 qui d’un même mouvement reconnaît la république d’Irlande et s’engage à ne pas modifier le statut de l’Irlande du Nord sans le consentement du Parlement de Stormont. La partition, ainsi renforcée, résiste aux assauts conjugués du gouvernement de coalition et de De Valera qui parcourt en vain le monde pour mobiliser l’opinion internationale. L’intervention trop voyante de l’Église dans la discussion d’un projet de loi sociale d’assistance à la mère et à l’enfant provoque l’éclatement du cabinet et la tenue de nouvelles élections qui entraînent le retour de De Valera à la tête d’un gouvernement de minorité (juin 1951). Au bout de trois ans, la situation économique est telle que De Valera doit à nouveau quitter le pouvoir pour donner une seconde chance à John Costello. Le recours à de sévères mesures d’austérité et le déclenchement en 1956 d’une campagne terroriste de l’I.R.A. sur la frontière précipitent la chute de cette deuxième coalition. Le 20 mars 1957, De Valera reprend les rênes du gouvernement. En quelques mois, il met au pas les activistes républicains dont la campagne tourne court. Il peut ainsi se consacrer au développement économique du pays dont les deux cabinets de coalition ont jeté les bases en lançant un «programme de relèvement à long terme» et en créant l’Office du commerce extérieur irlandais et l’Industrial Development Authority (I.D.A.) qui seront les instruments indispensables du décollage de l’économie dans la décennie suivante.La fin des années 1950 marque un tournant décisif dans la politique irlandaise. À la génération de la guerre d’indépendance et de la guerre civile succède une nouvelle génération, qui refuse les rancunes du passé et récuse le caractère inéluctable de la stagnation. Au Dail Eireann, les débats économiques prennent le pas sur la polémique politique. Lucide, De Valera comprend que son temps est venu. À soixante-dix sept ans, complètement aveugle, il passe la main à son second, Sean Lemass, et se fait élire à la présidence de la République, charge honorifique dont il respectera scrupuleusement les limites, s’interdisant dorénavant toute intervention directe dans les affaires de l’État. En juin 1973, après avoir exercé un second mandat, il abandonnera la vie publique, et s’enfermera dans un silence plein de hauteur jusqu’à sa mort le 29 août 1975. Sean Lemass inaugure en 1959 ce que l’on a appelé la «révolution des managers». Elle s’assigne comme objectifs l’industrialisation accélérée du pays par appel aux capitaux étrangers, la modernisation de l’agriculture et la recherche systématique des marchés d’exportation. Pendant la décennie 1960-1970, les progrès de l’économie irlandaise sont foudroyants. Le taux de croissance annuel qui plafonnait à 2 p. 100 passe à 4 p. 100. L’émigration, fléau traditionnel, est enrayée. Consécration de cette orientation nouvelle, la république d’Irlande signe avec la Grande-Bretagne un traité de libre-échange, et, les dernières barrières ayant été levées, elle adhère enfin à la Communauté économique européenne au début de 1972. Le 10 mai de la même année, l’adhésion est approuvée par 83 p. 100 du corps électoral irlandais. Avec elle prend fin l’isolement de l’Irlande. Autre manifestation de réalisme à mettre au crédit de Sean Lemass: la rencontre historique avec son homologue nord-irlandais, le capitaine Terence O’Neill, à Belfast puis à Dublin en 1965. Ce dégel au sommet entraînera toutefois un durcissement à la base qui dégénérera en affrontements violents débouchant sur la guérilla urbaine des années 1970-1980.L’hypothèque ulstérienne et la crise économiqueÀ Sean Lemass, qui se retire de la vie politique en novembre 1966, succèdent des hommes de la génération de l’après-guerre civile qui n’ont pas les mêmes souvenirs ni les mêmes rancœurs que leurs aînés, mais pas davantage le pouvoir charismatique d’un de Valera, ni même l’autorité tranquille de son brillant dauphin. De 1966 à 1993, la république d’Irlande voit se succéder aux affaires cinq Premiers ministres: Jack Lynch, qui ne forme pas moins de trois gouvernements Fianna Fail (1966-1969; 1969-1973; 1977-1979); Liam Cosgrave, fils du premier président du Conseil exécutif de l’État libre, qui accède au pouvoir à la tête d’une coalition Fine Gael-Labour (1973-1977); Garret Fitzgerald, qui exerce deux mandats comme Premier ministre d’une nouvelle coalition Fine Gael-Labour (1981-1982; nov. 1982-1987); Charles J. Haughey, qui termine le mandat interrompu de Jack Lynch (1979-1981), revient au pouvoir à la tête d’un fragile gouvernement qui ne reste que quelques mois aux affaires (mars-nov. 1982) et retrouve son fauteuil de Premier ministre à la tête d’un gouvernement Fianna Fail minoritaire (févr. 1987-juin 1989), puis d’un gouvernement de coalition Fianna Fail-Progressive Democrats (juin 1989-janv. 1992). Affaibli par une cascade de scandales financiers, Charles J. Haughey offre sa démission. Il est remplacé à la tête du Fianna Fail et au poste de Taoiseach (Premier ministre) par Albert Reynolds, dont les rapports avec les ministres issus du parti des Progressive Democrats ne cessent de s’envenimer. Jugeant la situation propice, il provoque le 25 novembre 1992 des élections générales qui se soldent par un échec conjoint du Fianna Fail, lequel perd 10 sièges et 5 p. 100 de son électorat, et du Fine Gael, dont le nombre des députés chute de 55 à 45. Le grand vainqueur du scrutin est le petit Parti travailliste, qui s’arroge 20 p. 100 des suffrages, contre 10 p. 100 en 1989, et enlève 33 sièges, contre 15 précédemment. Paradoxalement, la coalition qui sort des urnes, faute d’unité de vues dans l’opposition, est une coalition Fianna Fail-Labour dirigée par Albert Reynolds, qui parvient ainsi à effacer l’impact de sa défaite en concédant un rôle accru au leader du Parti travailliste, Dick Spring.La disparition des clivages de la guerre civile, qui assuraient au Fianna Fail une rente de situation, l’avènement d’une nouvelle génération avide de changements et le contrecoup politique des effets brutaux de la crise économique mondiale expliquent, plus encore que l’hypothèque ulstérienne, l’instabilité gouvernementale des dix dernières années, qui semble condamner la république d’Irlande à des coalitions imprévisibles aux marges de manœuvre extrêmement limitées.Le Fianna Fail, seul ou allié avec les Progressive Democrats, et les coalitions Fine Gael-Labour ont, sinon dans le détail et dans la philosophie, du moins dans les grandes orientations, adopté des lignes politiques très voisines. Il est encore trop tôt pour dire si la nouvelle alliance Fianna Fail-Labour innovera par rapport aux politiques précédemment mises en œuvre.Pour ce qui est de l’Irlande du Nord, l’approche de Dublin a suivi quatre grands axes: adoption de mesures de sécurité très strictes pour faire respecter la loi et l’ordre intérieur et empêcher que le territoire de la République ne serve de «sanctuaire» aux terroristes républicains; pression sur Londres pour que soit reconnue et institutionnalisée la «dimension irlandaise» du conflit et la nécessité de consultations permanentes entre les deux gouvernements; défense de la minorité catholique contre la discrimination, qui est loin d’avoir disparu, les excès de la répression et les abus de pouvoir de la majorité unioniste-loyaliste et soutien à la revendication de «partage du pouvoir» formulée avec plus ou moins de conviction selon l’heure par les catholiques modérés; main tendue aux protestants d’Ulster afin de désarmer la tension et préparer la voie à une solution du conflit par consentement mutuel. Sur le premier point, et parce qu’il est de son ressort, la république d’Irlande est parvenue à ses fins: empêcher la contagion de la violence et limiter, autant que faire se peut, les allées et venues des terroristes sur la frontière.Dans les autres domaines, les résultats sont moins tangibles. Pour faire le point de la situation, analyser les causes du problème et proposer une alternative crédible au statu quo ulstérien, Dublin prend l’initiative d’inviter tous les partis constitutionnels de l’île à un Forum pour une nouvelle Irlande, qui siège d’avril 1983 à mai 1984. À l’issue de cet exercice d’introspection capital, les participants prennent acte de la complexité du problème et reconnaissent la «dimension britannique» de l’Ulster et «le droit des unionistes à une expression effective, tant sur le plan politique que sur le plan symbolique et administratif, de leur identité, de leur éthique et de leur mode de vie». Le 1er mai 1984, le Forum pour une nouvelle Irlande rend publiques ses conclusions sous la forme d’un rapport contenant une analyse très pertinente du problème et un éventail de solutions négociables, allant de l’État unitaire au condominium, en passant par l’option fédérale ou confédérale. Malgré certaines divergences d’interprétation malencontreusement exprimées presque aussitôt, le sérieux de la démarche, évident au niveau de l’analyse, même si les propositions pouvaient paraître excessivement ambitieuses, n’est pas compris à Belfast et à Londres; apparemment tout au moins car, dans la coulisse, des négociations capitales se déroulent qui aboutissent à la signature, le 15 novembre 1985 à Hillsborough, d’un accord anglo-irlandais institutionnalisant la «dimension irlandaise» du conflit ulstérien et conférant pour la première fois au gouvernement de la république d’Irlande un rôle consultatif non négligeable dans la conduite des affaires nord-irlandaises.Ce nouveau réalisme politique bute encore sur l’excessif rigorisme moral de la République, dans lequel les unionistes protestants ont beau jeu de dénoncer l’influence discriminatoire de Rome et de son Église. C’est ainsi que l’interdiction légale de l’avortement, jugée insuffisante, devient constitutionnelle au terme d’un amendement approuvé par référendum, en 1983, par 67 p. 100 de l’électorat après une campagne violente et passionnée contrastant avec l’indifférence résignée à l’égard des événements tragiques d’Irlande du Nord. Référence sera faite dans le traité d’Union européenne à ce nouvel article de la Constitution irlandaise, de manière à placer la République hors d’atteinte d’une éventuelle libéralisation de l’avortement à l’échelon européen. Le 26 juin 1986, un autre amendement constitutionnel tendant à reconnaître la dissolution du lien matrimonial dans certains cas limitativement énumérés est repoussé par 63 p. 100 des électeurs.Mais d’autres signes montrent que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Dans les deux référendums de 1983 et de 1986, l’importance des abstentions et le nombre des opposants, un sur trois en moyenne, montrent un fléchissement notable des positions traditionnelles et un effritement de l’influence cléricale dans un pays où l’unanimité était de rigueur. En novembre 1990, l’élection surprise à la magistrature suprême de Mary Robinson, candidate du Parti travailliste et juriste libérale réputée pour ses croisades en faveur de la légalisation du divorce, de la vente libre des contraceptifs et de la défense des libertés publiques, fait l’effet d’un coup de tonnerre annonciateur de changements profonds dans la société irlandaise, nonobstant l’absence de pouvoir du président d’Irlande aux termes de la Constitution de 1937. Aux trois questions concernant l’avortement posées par référendum le 25 novembre 1992, l’électorat irlandais a apporté des réponses dont la cohérence n’est pas évidente au premier abord. À la question de savoir s’il fallait autoriser l’avortement lorsque la vie de la mère est en danger, 65 p. 100 des électeurs ont répondu non, 35 p. 100 oui. Mais 60 p. 100 étaient favorables à la diffusion de l’information sur l’avortement (40 p. 100 contre) et 62 p. 100 au fait d’autoriser les femmes à se rendre à l’étranger pour se faire avorter (38 p. 100 contre). Une réponse typiquement irlandaise à un problème irlandais. Le législateur devra nécessairement intervenir pour sortir de l’imbroglio juridique ainsi créé. Or les parlementaires ne sont plus aussi frileux que par le passé. Après bien des atermoiements, c’est ainsi que le législateur, passant outre aux objurgations de l’Église et des groupes de pression cléricaux, s’est prononcé en faveur de la vente libre des contraceptifs pour enrayer la progression inquiétante du sida. De même a-t-il voté la décriminalisation de l’homosexualité entre adultes consentants. La question du divorce, tout le monde en est conscient, ne devait pas tarder à être reposée avec insistance.Mais c’est avant tout l’économie qui préoccupe l’Irlandais de la rue et les ministres de la République. Après l’euphorie des années 1960 et 1970, qui permit à l’Irlande de ramener sa dépendance commerciale vis-à-vis du Royaume-Uni aux alentours de 34 p. 100, la crise mondiale consécutive aux chocs pétroliers successifs et la brutale récession internationale des années 1991-1993 ont mis à mal une économie fondée sur le libre-échange et l’adhésion raisonnée et enthousiaste à la Communauté européenne, attestée notamment par l’approbation des accords de Maastricht par 69 p. 100 des électeurs au référendum du 18 juin 1992. Grâce à une politique économique et fiscale rigoureuse, la république d’Irlande a réussi à diminuer son endettement, à stabiliser l’inflation aux alentours de 3 p. 100 et à maintenir une croissance du P.I.B. de 2,5 à 3 p. 100 l’an grâce à la bonne tenue des exportations. Mais, parallèlement, les fermetures d’usines se sont multipliées, l’investissement s’est ralenti et la croissance de l’emploi stagne. La perte de compétitivité vis-à-vis du Royaume-Uni, en raison de l’ajustement à la baisse de la livre sterling, a été corrigée par la dévaluation de la livre irlandaise, intervenue à la fin du mois de janvier 1993, mais les perspectives de croissance des marchés à l’exportation sont devenues beaucoup plus incertaines. Pour comble de malchance, l’émigration massive, soupape traditionnelle de l’Irlande en période de crise, a fait place à des entrées nettes d’immigrants qui sont venus s’ajouter au nombre important de chômeurs victimes de la stagnation économique et des distorsions structurelles propres à la République. Le taux de chômage, qui était de 16,7 p. 100 en 1992, pourrait, au dire de l’O.C.D.E., dépasser 20 p. 100 en 1994. À Dublin, comme partout ailleurs en Europe, c’est sur leurs capacités à stimuler l’économie et à développer l’emploi que seront jugés les nouveaux gouvernants du pays: on arrive ici, comme en d’autres domaines, à la fin d’une certaine «exception» irlandaise.
Encyclopédie Universelle. 2012.